Une maison pour raconter la transition écologique

Katia Delay / © Brigitte Besson
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Katia Delay
© Brigitte Besson

Une maison pour raconter la transition écologique

Katia Delay
Depuis 2014, Katia Delay dirige la Maison du récit à Lausanne. Un espace qui, par les expériences qui s’y vivent, contribue à la transition écologique d’une manière profonde et décalée. Explications.

On y croise des comédiens capables de réinterpréter, en direct, des récits vécus. On y vit des ateliers d’écriture qui demandent d’affronter ses contradictions. On y écoute des conférenciers narrer des expériences transformatrices, comme l’humoriste Nathanaël Rochat ou la chercheuse en écopsychologie Sarah Koller. On s’y transforme par le jeu. La Maison du récit est un lieu où se travaillent – se bricolent – des expériences vécues à hauteur d’humain, en profondeur.

Qu’est-ce qu’un récit?

Pour moi, c’est le tissage d’une expérience vécue avec une réalité imaginaire. Le support importe peu. Une chorégraphie fait récit, mais aussi une image, un paysage, un roman. Un récit, c’est autant les structures de la trame narrative (que nous devons d’ailleurs d’urgence revisiter) qu’un reflet de la complexité de nos réalités vécues. C’est une valeur centrale, à cultiver à tout prix à notre époque. C’est se méfer des simplifcations, être attentif à sortir des pensées en silo, qui mettent la réalité dans des cases, toujours être dans la nuance. Et tenir compte de la multiplicité des réalités: ces strates me paraissent les plus précieuses, dans un récit. La pluralité permet d’ouvrir la compréhension de soi, de l’autre, et d’inviter de nouvelles manières de vivre ensemble, de mettre du sens dans le chaos, de tisser des liens.

Pourquoi avons-nous besoin de nouveaux récits, en particulier au regard de la transition écologique?

On oppose souvent la transition faible à une transition forte, alors qu’elles sont complémentaires. Et c’est dans la dimension profonde, de mise en œuvre d’une transformation intime ou collective, que tout est compliqué, qu’il nous faut du temps en tant qu’individus. Un nouveau récit, c’est une nouvelle forme qu’on donne à son identité, par un travail de longue haleine, pas un atelier d’écriture de deux heures. Une source de transformation profonde pour sortir des scripts et schémas établis.

Comment susciter ce travail profond?

Il y a quelque chose de l’ordre du «requestionnement»: on revisite ses pratiques, ses valeurs, même celles qui semblent aller de soi, les plus légitimes et évidentes, venues de l’enfance ou de plus loin, dans le transgénérationnel. Cela implique de faire des deuils, de travailler sur sa loyauté à une société, un groupe, une famille. Là, on arrive dans des choses puissantes. La bonne conscience ne suffit plus. En plus du terme «transition», je parlerais de changement, de métamorphose, d’évolution.

Quel est le savoir-faire de votre lieu en la matière?

Des transformations s’opèrent ici! En particulier dans les ateliers, car ils font appel à notre complexité, à notre créativité. Ils sont animés par des art-thérapeutes, qui suscitent chez chaque personne un travail de fond. Nous amenons chacune, chacun à mettre le doigt sur ses ressources profondes, intimes, qu’il·elle n’a peut-être jamais identifées.

En quoi croyez-vous aussi à la dimension collective?

Nous travaillons aussi sur des récits collectifs, des narrations de groupe dans une dimension plus large. Je pense que l’art est politique, que chaque processus de création l’est. Même s’il est intime, il fnit par rebondir dans la société. Nous souhaitons conscientiser sur l’ampleur des narrations: combien elles construisent et structurent notre réalité. Je ne connais personne qui, frappé par des statistiques, aurait changé sa vie! Mais par des récits, oui.